La ville de Thiers vit tout entière de la coutellerie,
de même que ses environs, à commencer par le village voisin
d'Escoutoux, dont elle emploie le quart des habitants. Dans
d'autres communes, cependant, comme à Arconsat ou à
Celles, on ne se contente pas de la vie sédentaire des ateliers.
Les jeunes prennent des patentes, se regroupent par six ou
huit et partent vendre à l'extérieur les productions de leur
région. Ils emportent couteaux et ciseaux, de tous genres et
de tous prix, et se rendent à Lyon, à Paris, mais aussi, pour
certains, à Bordeaux, Montpellier, Toulon, ou même à
l'étranger (Espagne, Italie, Prusse, Autriche, Russie). Ils
rentrent évidemment chaque année au pays, où ils prennent
une femme, qu'ils laisseront avec leurs enfants durant
chaque tournée. C'est surtout vers 1820, lorsque se dessinent
les premières réussites, que le mouvement connaît une véritable flambée. Le maire d'Arconsat, qui, cette année-là, a pu
recenser cent trente-trois partants, se dit impressionné par
l'argent qu'ils rapportent. Les achats de terres vont bon train
et le commerce sera florissant jusqu'à la fin du second
Empire, le chemin de fer - toujours lui - ayant brouillé la
donne. Plusieurs reviennent riches, ayant fait fortune à
Alexandrie ou encore à la Grande-Canarie, comme la dynastie des Pasquet, colporteurs et marchands de couteaux sur
quatre générations, de la Révolution à la Première Guerre
mondiale.
Parents éloignés et pauvres de ces marchands-couteliers, d'autres hommes de la montagne themoise cheminent
sur les routes comme rémouleurs-aiguiseurs de couteaux.
Les plus démunis poussent devant eux leurs meules sur une
brouette, lorsqu'ils n'en portent pas les quelque cinquante
kilos directement sur leur dos. Qui est plus à l'aise ou
commence à gagner un peu d'argent achètera une carriole.
Inlassablement, ces gens sillonnent les campagnes, les
fermes et les bourgs, les rues des villes, le plus souvent
accompagnés d'un enfant qui les précède en criant:
«Rémouleur! Rémouleur! » et qui récupère les objets à
aiguiser pour les leur apporter sur la place du village ou du
marché où ils travaillent en public.
Extrait du livre Quand nos ancêtres partaient pour l'aventure de Jean Louis Beaucarnot.