A Paris, les Limousins se sont taillé un quasi-monopole :
celui des cochers de fiacres. La profession proposait elle
aussi une activité saisonnière, essentiellement en hiver,
lorsque les bourgeois de la capitale avaient quitté leurs
domaines campagnards pour regagner leurs hôtels urbains
et reprendre la vie citadine.
Longtemps, leur principal mode de circulation avait été
la chaise à porteurs. Gros rentiers goutteux allant percevoir
leurs loyers, agioteurs se rendant à la Bourse, ou douairières
charitables en route vers l'église ou visitant leurs pauvres,
tous traversaient ainsi les rues fangeuses et étroites du Paris
d'autrefois. Elles étaient toutefois déjà si embarrassées que
l'on avait dû interdire la circulation de ces chaises après
midi, afin d'éviter les embouteillages. Tout le matin donc,
ces équipages allaient et venaient, portés par deux gars suant
sang et eau, arc-boutés à leurs manches, et cela jusqu'à ce
qu'apparaisse une sorte de pousse-pousse dénommé la
«vinaigrette». Porteurs de chaises comme pousseurs de
vinaigrettes venaient souvent déjà du Lyonnais, du Limousin
ou de l'Auvergne (notamment de Saint-Pierre-la-Bourhonne, d'où sortira entre autres le cocher personnel de Blériot),
et plus précisément des deux départements de la Corrèze et de l'Aveyron.
Peu à peu, se sont répandus les attelages à chevaux, à la
fois voitures de louage et de place, rapidement appelés
« fiacres », du fait qu'à leur début, vers 1640, ils remisaient
rue Saint-Antoine, dans l'Hôtel Saint-Fiacre. Vers 1880, ce
sont vingt-cinq mille voitures qui parcourent quotidiennement Paris en tous sens, vingt-cinq mille voitures tirées par
des chevaux souvent efflanqués et exténués, qui n'ont guère
plus le temps de manger que n'en a leur cocher. Sans cesse,
le provincial ou le bourgeois, pressé, demande de fouetter la
rosse et d'augmenter la vitesse du fiacre qui, lancé dans une
course folle, se heurte aux bornes, aux trottoirs, aux timons
des voitures, quand ce n'est pas aux autres fiacres. Quelle vie
pour la pauvre bête qui le tire, même si son maître, en été, a
la délicate attention de la coiffer d'un élégant chapeau de
paille de forme conique, dont la mode a été lancée au
moment de la grande Exposition universelle de 1889. Mais
un proverbe ancien ne dit-il pas que Paris est « le paradis des
femmes et l'enfer des chevaux » ?
Pour le cocher, ça va. Le métier, qui n'exige au départ aucune compétence particulière, garantit longtemps liberté et indépendance, des avantages appréciables, sans oublier la possibilité de jouer sur les horaires illimités, les pourboires et le prestige du chapeau haut de forme. Un Corrézien dut un jour y trouver du travail, il y attira un autre et le mouvement fit tache d'huile. Bientôt, c'est une véritable mafia qui se constitue et qui se partage les professions de palefreniers et surtout de cochers, qui comptent des milliers de personnes regroupées en trois grandes compagnies. La plus importante, la Compagnie générale, qui en regroupe plus de dix mille, est dirigée par un Aveyronnais. En 1911, 866 cochers parisiens sont ainsi originaires de la Corrèze et 731 de l'Aveyron.
Sentant tourner le vent, ces derniers, dès le
début du XXème siècle, vont se transformer en chauffeurs de
taxis et les autres en laveurs de voitures. Dans la capitale, ils
forment cependant une colonie très unie, parlant le même
patois, fréquentant les mêmes cafés, lisant Lou Cantou, ne
manquant aucun des banquets annuels des Corréziens de
Paris, prenant enfin leur retraite dans les mêmes villages, au
pays. Le bourg de Meymac, à lui seul, compte encore quinze
de ces retraités en 1978.
Extrait du livre Quand nos ancêtres partaient pour l'aventure de Jean Louis Beaucarnot.