Le jargon du p'tit folkleux

La chabrette limousine

Mémoires de Robert du Dorat (1589 -1658)

"C'est une chose étrange et admirable de voir combien ce pays de Limousin et particulièrement ce Comté de la Basse-Marche est adonné aux joueurs d'hautbois et cornemuses, et aux danses, n'y ayant guère bonne maison et village, non seulement dedans le Limousin, la Basse-Marche et le Poitou qu'il n'ait quelqu'un de la maison ou du village qui ne sache jouer de la musette ou cornemuse ou du hautbois; et bien que ce soit des laboureurs et pauvres paysans qui n'ont jamais rien su ni appris aucune chose de la musique, qui ne savent lire ni écrire, néanmoins jouent sur leurs dits hautbois et cornemuses toutes sortes de branles tant nouveaux qu'anciens, sans tablature ni autre invention humaine qu'on leur puisse dire et les mettent sur les quatre parties et sons, si bien accordants entre eux avec leurs dits instruments que c'est chose belle et fort douce de les entendre, et n'y rapportent autre artifice que la seule nature qui le leur enseigne, qui est chose du tout admirable de voir tous ces pauvres villageois jouer ainsi toutes sortes de pièces qu'on leur peut dire et les mettre sur les quatreparties fort bien et avec telle méthode et art que les plus versés en la musique ne sauraient guère mieux faire.

D'autres jouent fort bien de la flûte allemande, du fifre, du flageolet, sifflet, chalumeau et telles autres gentillesses que les poètes grecs et latins ont décrit dans leurs bucoliques et pastorelles de sorte que, paravant toutes ces guerres, tributs, subsides et grandes tailles, des passages journaliers des gendarmes qui sont venus depuis l'an 1630 en ça, l'on ne voyait que par les bourgs et villages et sous les ormeaux, châtaigners et cerisiers de la campagne, que danses au son des cornemuses et hautbois ou bien aux chansons entre jeunes hommes et filles, entre bergers et bergères les jours de dimanche et fêtes.

Philippe de Comines et Pierre Mathieu en la vie du roi Louis XI et Du Bouchet en ses Annales d'Aquitaine, rapportent que le roi Louis XI étant vexé d'une grande maladie mélancolique fit venir des paysans et bergers de Poitou pour chanter et jouer de leurs musettes, cornemuses et hautbois pour le réjouir car par la France, de grande ancienneté, l'on fait état des hautbois de Poitou, sous laquelle province est comprise la basse-Marche qui abonde en nombre de paysans qui en savent très bien jouer et sonner, et avaient accoutumé les jeunes gentilhommes et jeunes demoiselles du dit pays de s'assembler depuis le premier jour de Mai jusqu'au mois d'Août dans les bois et forêts du pays et illec danser et passer le temps au son des cornemuses et hautbois et puis y faire collation et bonne chère et de se donner le bouquet à tous les jours de dimanche et de fêtes, ainsi que j'ai vu, et passer joyeusement le temps

Le peuple des dits pays observe entrautres choses de danser au son des hautbois et cornemuses aux fêtes des saints de la paroisse, à savoir la vigile de Saint Jean-Baptiste, la vigile de Noël que l'on fait aux églises champêtres où, pendant l'offerte, le curé de la dîte paroisse ou son vicaire commencent le premier à chanter le noël qui dit : «Laissez paître vos bêtes, pastoureaux, par monts et par vaux» puis tous les paroissiens avec lui chantent le reste du noël et, à la sortie de la messe de minuit, tous les jeunes laboureurs, bergers et jeunes femmes et bergères se mettent tous à danser le reste de la nuit au son des cornemuses et hautbois jusqu'à la messe du point du jour, que s'il fait beau la dite nuit, que le temps soit serein et qu'il fasse lune, ils dansent devant l'église ou au cimetière, selon que la commodité de la place est propre, que s'il fait mauvais temps et pluie, ils se retirent dans quelque grange prochaine et illec, le curé leur doit fournir la chandelle, ainsi que jai vu pratiquer en mes jeunes années, tant en l'église paroissiale de Dinsac que de Saint-Sornin-la-Marche et autres.

Les mêmes danses se pratiquent aussi la vigile de Saint-Jean Baptiste, au mois dejuin, autour du feu de joie que chaque village faisait; que, s'il n'yavait pas de cornemuse et d'hautbois, ils dansaient aux chansons, dont les jeunes femmes et bergères sont fournies à foison.

Comme aussi aux jours de la dédicace des églises paroissiales, les paysans tenaient leurs ballades avec grande joie faisant un roi, se festinant et dansant le reste du jour avec les femmes et les filles du village. C'est une chose admirable de voir de pauvres rustiques qui ne savent point de musique jouer néanmoins toutes sortes de branles à quatre parties, soit supérieure, la taille, hautecontre et la basse, sur leurs cornemuses, musettes et hautbois à la ionique, car tous les branles que l'on appelle de Poitou, non ceux de France, sont ioniques ou lidiens, c'est à dire du cinquième au septième ton »

Cité dans "souffler c'est jouer".