La saignée




On tuait le porc gras à Noél ou de préférence au Carnaval. Dans les maisons comptant beaucoup de bouches à nourrir, il fallait même en tuer deux par an : un à Noël et l'autre à Mardi-Gras ou à Pâques. Pour cette "cérémonie" il faut qu'il fasse froid, il faut que la viande "caille" c'est à dire qu'elle fige pour bien se découper. Donc on faisait ça en hiver, par bonne lune, la lune a son importance. Le porc n'était pas nourri de la veille, il avait très faim, et gueulait à pleine gorge. L'heure arrivée du sacrifice, il y avait de solides voisins, un cochon de 180 kilos, c'est costaud et ça se défend. on devait etre au moins quatre pour l'attraper dans son étable. Pour le maintenir, chaque homme prenait une patte et un autre une oreille. On le trainait dans la soue, jusqu'au milieu de la cour, ou était dressé un "bois de justice". c'était généralement une échelle posée à l'horizontale. On couchait le cochon dessus.

A ce moment arrivait le maitre d'oeuvre, avec son couteau bien affuté. Le tueur, un homme dont l'habileté était connu, doit avoir beaucoup de doigté, sinon on dit qu'on «assassine» le cochon. Si on va trop près du coeur, le sang fait hémorragie interne. Alors le cochon s'étouffe et le sang reste à l'intérieur . Il faut éviter également de sectionner la trachée-artère qui est tout près de la carotide sinon l'air du poumon, se mélangeant au sang, «sulfate » l'aide qui recueille le sang qui servira a faire les boudins.

L'agonie du cochon dure cinq interminables minutes, pendant lesquelles la bête hurle. Il se calme. Puis, dans un dernier spasme, il se crispe, le nez s'aplatit : " Il se rechigne, il fait une grimace, et c'est fini". Pendant tout ce temps, on récupère le sang dans une jatte, où on a versé auparavant un peu de sel et un filet de vinaigre tout en le brassant constamment, tout cela pour qu'il ne coagule point. La tuée sur les bacholles permet de recueillir le précieux liquide en une seule fois dans la terrine. Quand on tue à terre, le sang est recueilli dans une poële. Chaque fois que celle-ci est pleine, on bouche le trou avec trois doigts ; la poële est vidée et on poursuit l'opération jusqu'à la dernière goutte. Il y avait un vacarme intense, les gens, les chiens, tous criaient !
Il sort environ 5 litres de sang qu'il faut remuer sans cesse pour éviter qu'il ne caille.
C'était alors l'occasion de rire aux depends des enfants qui tournaient autour : le tueur, pretextant que son couteau était mal aiguisé, demandait a l'un des enfants de lui preter le sien, et sitôt qu'il l'avait il le faisait disparaitre dans l'anus du cochon, au grand desespoir du gamin, qui ne recuperait son couteau qu'un peu plus tard.