Le jargon du p'tit folkleux

Histoire de la vielle à roue


Marin Mersenne, dans son traité de L'Harmonie universelle paru en 1636 à Paris, prévoit en ces termes le renouveau de la vielle :
"si les hommes de condition touchaient ordinairement la symphonie que l'on nomme vielle, elle ne serait pas si méprisée qu'elle est, mais parce qu'elle n'est touchée que par des pauvres et particulièrement par les aveugles qui gagnent leur vie avec cet instrument, l'on en fait moins d'estime que des autres, quoi qu'ils ne donnent pas tant de plaisir. Ce qui n'empêche pas que je l'explique ici, puisque la science n'appartient pas davantage aux riches qu'aux pauvres et qu'il n'y a rien de si bas ni de si vil dans la nature, ou dans les arts qui ne soit digne de considération. "

et donc, au XVII et XVIII siecle, elle refait son entrée dans les hotels particuliers et chez les grands du royaume. La vielle devient ainsi l'instrument indispensable à tout homme élégant, qui se doit d'avoir son professeur de vielle ou de musette.
Terrasson, dans une dissertation parue en 1741 parle d'un des plus beaux instruments qui soit à notre connaissance, il s'agit d'une vielle ayant appartenu vraissemblablement à Henri III.
Mademoiselle de l'esmon, soeur de l'écuyer du roi, qui joue de la vielle, fut pour en choisir une chez un luthier de paris nommé Hurel demeurant rue des Arcis, A l'image de St Pierre, qui se qualifiait : Faiseur d'instruments pour la musique du Roi.
et plus loin
"celui-ci se nommoit jannot: il jouoit, dit-on, avec beaucoup d'agrément les contredanses et autres airs de ce tems là: il chantoit aussi fort bien tous les vaudevilles, et s'accompagnait avec sa vielle: il executait d'ailleurs quelques morceaux les plus connus des opéra de Lully ... la rose et Janot ayant donc rétabli la vielle dans son ancien crédit par les applaudissements qu'ils reçurent à la cour de louis XIV, plusieurs personnes reprirent cet instrument."


jean jacques rousseau



Toutes les toiles commandées pour décorer des hôtels particuliers, des résidences princières ou des palais, montrent l'engouement et l'attachement que la noblesse portait à cet instrument qui avait été maintenu en vie par un petit peuple de mendiants et d'aveugles.




personnage de crèche - XVIIIème siècle

L'étude comparative des instruments, autant qu'on puisse les dater, montre qu'à cette époque de nombreuses améliorations techniques furent apportées, modifiant profondément la facture même de la vielle.
Jusqu'au début du XVIIe, la vielle était plate, un peu allongée rappelant la guitare. Elle était montée de 3, 4 ou 5 cordes, une seule chanterelle. La 6ème corde (la mouche) fût ajoutée à cette époque.
Le clavier se composait d'une vingtaine de touches. et, d'après terasson
"En 1716, le sieur Bâton dit l'Ancien, luthier à Versailles, fut le premier qui travailla à perfectionner la vielle. il avait chez lui plusieurs anciennes guithares dont on ne se servait plus depuis longtemps; il imagina en l'année 1716 d'en faire des vielles; et cette invention lui réussit avec un si grand succès que l'on ne voullut plus avoir que des vielles montées sur des guitarres, et ces sortes de vielles ont effectivement un son plus fort et en meme temps plus doux que celui des vielles anciennes.le sieur Baton ajouta aussi au clavier de cet instrument le mi plein et le fa d'en haut; il orna ses vielles avec des filets d'ivoire; il donna au manche une forme plus jolie et à peu près semblable aux manches de basses de viole; de sortez qu'alors toutes les dames voulurent jouer de la vielle, et bientot le gout pour cet instrument devint général. Le succès d'une invention excite ordinairement à faire de nouvelles découvertes. Le sieur Baton imagina que puisque les vielles montées sur des corps de guithare avaient eu tant de réussite, cet instrument prendrait encore des sons plus moelleux en le montant sur des corps de luth et de théorbe.il executa donc cette nouveauté en l'année 1720, et les vielles en luth eurent encore plus de succès que les autres.

A ce propos, voilà ce qu'en dit Corette dans un style burlesque dans "Les dons d'Apollon" Méthode de Guitare :

"Chacun la cherchait avec empressement. Point de noces ou de sérénades où elle ne fût appelée, ce qui l'enorgueillit au point qu'elle alla trouver la belle guitare qui dormait au bas de l'Olympe et comme un antropophage l'ensevelit dans son sein. Alors tous les faunes comme des lions ravissent, décalent, brisent, déchirent, arrachent toutes les guitares qu'ils rencontrent sous leurs mains, pour en faire des vielles. Les luths, les théorbes rien n'échappent à leur fureur. La vielle ne manqua pas de se parer des dépouilles de l'aimable guitare semblable aux sauvages qui se parent de la chevelure d'un ennemi vaincu."

A cette époque, au point de vue sonorité, les vielles en bateau sont incomparablement les meilleures ; Boin, dans sa méthode, déclare que "les vielles en corps de luth ont plus d'harmonie et rendent plus de sons ; celles en forme de guitare sont plus douces et pour la chambre sont plus gracieuses".




Cependant, certains n'apprecient guère les bourdons , ainsi en 1738, pouvait-on lire dans le "Mercure" :
"On pourait, sans inconvénient pour le bon goût, reléguer la vielle aux guingettes et l'abandonner aux aveugles, car, n'en déplaise aux Danguys et aux belles qui s'y sont adonnées depuis quelques années, c'est un instrument si borné, et son cornement perpétuel est si désagréable pour des oreilles délicates,qu'il devrait être proscrit sans miséricorde."

et de même François Campion , maitre de théorbe et de guitare, écrit en 1739 :
"La musette et la vielle n'ont pour principal objet qu'un dessus : tout le bruit qui les accompagne est un charivari continuel, auquel on peut ajouter le croacement des grenouilles pour accompagnement, et pour contre basse le murmure ou le ronflement que fait la roue d'un coustelier ou d'un tisseran. Meme si l'on veut, celui de l'équipage d'un mulet, avec le tambour de basque. On doit conclure que la vielle en tout ou en partie est très inférieure, et qu'elle ne peut convenir qu'à des villageois totalement ignorants de bonne musique...
Ce n'est point le goût, encore moins la raison, mais la mode qui a arraché ces instruments de la main des aveugles et des prêtres chez lesquels nos ancêtres les avoient relégués. Il faut même devenir pantomime pour leur attirer quelque succès, et sans les grimaces de ceux qui en jouent, ils ne seraient pas supportables aux oreilles musiciennes après qu'on les a écoutés pendant plus d'un quart d'heure"

mais c'est surtout la trompette qui a ridiculisé la vielle. En 1732, Baton , le jeune, essaye meme de la supprimer :
"C'est un défaut essentiel et insoutenable qui n'a pris de crédit que parcequ'on y a attaché l'articulation. Mais cette articulation est aussi défectueuse que son principe, en ce que la trompette de la vielle n'est occasionnée que par les frémissements d'un chevalet sur la table, ce qui ne peut produire que du bruit. C'est un véritable concert de mouches, pour employer le mot d'un plaisant.

la nouvelle vielle qu'on nomme en d-la-ré, parceque c'est la partie qui la distingue des autres, est une réforme et une augmentation en même temps faites à l'instrument sur trois points qui de tous temps ont déplu en lui aux musiciens et aux gens de gout, qui sont :