La vestale
Pot-pourri en trois actes
Air : V’la c’que c’est qu’d’aller au bois.
L’aut’matin, je m’disais comme ça :
Mais qu’est-ce que c’est donc qu’un opéra ?
V’la que dans une rue, au coin de la halle,
J’lisons : la vestale ;
Faut que j’m’en régale.
C’est trois liv’douze sous que ça m’cout’ra,
Une vestale vaut bien ça.
Air : Tous les bourgeois de Chartres
L’heure du spectacle approche,
Je me r’quinque plus vite que ça,
Et les sonnettes en poche,
J’courons à l’opéra.
Mais voyant que pour entrer
On s’bat dans l’antichambre,
Je me dis : voyez qu’en chien d’honneur
Quand pour cette vestale d’malheur
J’me s’rai foulé z’un membre.
Air : du lendemain
N’croyez pas ma cocotte
Qu’tout exprès pour vos beaux yeux,
J’allions à propos d’botte
M’faire casser z’une jambe ou deux.
Je r’viendrons, n’vous en déplaise.
N’sait-on pas qu’il est des endroits
Où c’qu’on entre plus à l’aise
La s’conde fois ?
Air : Tarare pompon
J’nons pas plus tôt achevé,
Que la parole étouffée
Par une chienne d’bouffée
Je m’sentons soulevé,
Le déluge m’entraîne,
Et me v’la z’en deux temps
Sans billet z’et sans peine,
Dedans.
Air : A boire, A boire !
Silence, silence, silence
V’la qu’la première acte commence.
Chacun m’dit d’mettre chapeau bas,
Je l’mets par terre, il n’tombera pas.
Air : Il était une fille.
J’voyons un monastère
Où c’qu’une fille d’honneur
Etait religieuse à contre-cœur.
C’était monsieur son père
Qui, l’jour qu’il trépassa,
D’sa fille exigea ça …
Ha ! …
Air : Qoi, ma voisine, es-tu fachée ?
Quand aux règles du monastère
Une fille manquait,
On vous la j’tait toute vive en terre
Comme un paquet.
Si la terre aujourd’hui d’nos belles
Couvrait les abus,
J’crois ben que j’aurions plus de demoiselles
Dessous que d’sus !
Air : Pour les gardes-françaises.
V’la z’enfin un bel homme,
Qu’elle avait pour amant,
Qui r’vient vainqueur à Rome
Avec son régiment.
Il apprend que l’cher père
A cloîtré son objet …
Il pleure, il désespère
Mais c’est comme s’il chantait.
Air : Traitant l’amour sans pitié.
Dans c’pays-là, par bonheur,
La loi veut qu’on choisisse
La vestale la plus novice
Pour couronner le vainqueur.
« Tu r’viens comme mars en carême,
Lui dit tout bas celle qu’il aime,
Pour r’cevoir le diadème
Du cœur dont tu as triomphé. »
Il veut répondre, il s’arrête,
Il la regarde d’un air bête,
Et le v’la qui perd la tête
Au moment d’être coiffé. (bis)
Air : Bonsoir la compagnie.
Enfin, un serrement de main
Lui dit : « prends garde,
On nous regarde ».
Le v’la qui se remet,
V’la qu’elle lui met
Un beau plumet.
« A cette nuit, j’te le promets »
« Puisque la cérémonie,
Dit l’abbesse, est finie,
Rentrez dans vot’dortoir
Jusqu’au revoir, bonsoir. »
Air : a boire, a boire.
Silence, silence, silence,
V’la qu’la seconde acte commence.
Et j’vois l’enceinte du saint lieu
Avec un réchaud z’au milieu .
Air : L’arrivée à pied de province.
On ordonne à la religieuse
D’entretenir le feu ;
S’il s’éteint la malheureuse
N’aura pas beau jeux.
A son devoir elle s’apprête,
N’osant dire tout haut
Qu’elle a bien d’autres feux en tête
Que l’feux du réchaud.
Air : Des fraises
La v’la seule, et dans son cœur,
Ou qu’la passion s’concentre,
Elle appelle son vainqueur.
Mais que d’viendra son honneur,
S’il entre, s’il entre, s’il entre.
Air : Du haut en bas.
Il entrera s’dit-elle
Au bout d’un bon quart d’heure,
Il entrera
Et puis après il sortira.
Y a bien assez longtemps que je pleure,
Du moins j’dirai,
S’il faut que j’meure,
Il est entré.
Air : Une fille est un oiseau.
Sitôt pris, sitôt perdu.
Elle court ouvrir la porte,
L’amant que l’plaisir transporte
Accourt, d’amour éperdu.
« Faut qu’ce soir je t’appartienne,
J’ai ta parole, t’as la mienne,
Pas d’feu, pas d’réchaud qui tienne. »
Ciel, m’arracher de c’lieu saint !
Bref, même rage les consume.
Et tandis qu’leur feu s’allume,
V’la-t-i pas qu’l’autre s’éteint. (bis)
Air : Au coin du feu.
« O ciel, je suis perdue,
Dit la vestale émue,
Y n’y a pas d’bon dieu. »
Et v’la qu’la pauvre amante
Tombe glacée et tremblante
Au coin du feu. (trois fois)
Air : dix trembleurs.
Les cris d’la belle évanouie
Donnent l’alarme à l’abbaye,
Qui s’éveille toute ébahie.
Et l’amant qui s’sent morveux,
Voyant qu’on crie à la garde,
S’esbigne en disant : « si j’tarde,
Si j’mamuse à la moutarde,
Nous la gobons tous les deux. »
Air : dépêchons, dépêchons, dépêchons.
« ah ! mamzelle, qu’avez-vous fait là !
dit d’une voix de tonnerre,
la révérende du monastère.
Ah ! mamzelle, qu’avez-vous fait là !
Vot’feu s’est éteint, mais il vous en cuira.
D’shabillez, d’shabillez, d’shabillez-la !
Son affaire est claire,
Qu’à l’instant même on l’enterre,
Et qu’ca mort, et qu’ca mort, et qu’ca morbleu
Lui apprenne une autre fois
A bien souffler son feu.
Air : Des pendus.
Là d’sus, on lui couvre l’estomac
D’un linge tout noir qu’a l’air d’un sac.
L’orcheste, lui, pinse à sa manière
Une marche à porter l’diable en terre.
Et la patiente, d’son côté,
S’dit tout bas : « j’m’en avais douté. »
Air : Aboire, à boire.
Silence, silence, silence !
V’la qu’la troisième acte commence.
J’vois six tombeaux, sept, huit, neuf, dix.
Qu’c’est gai comme un de profundis.
Air : Au clair de la lune.
Au clair de la lune
L’amant tout en l’air
Sur son infortune
Vient chantez z’un air.
Air : Bonjour mon ami Vincent.
« Cependant, qu’il dit, j’veux bien
Faire encore quelqu’chose pour elle :
Sur c’réchaud on n’y voit plus rien,
Mettez l’fichu d’la demoiselle,
Si l’linge brûle, on n’l’enterrera pas
S’il ne brule pas, elle n’l’echappera pas. »
Vous l’voyez, aucune étincelle
Ne vient contremander son trépas :
Or, plus d’débats
Du haut en bas,
Y n’y a point z’à dire,
Faut qu’elle saute le pas.
Air : nous nous marierons dimanche.
« Doucement dit l’amant,
Qui guettait l’moment,
Faut qu’enfin l’chapelet s’débrouille :
C’est moi qu’a tout fait,
Grâce pour mon objet,
Sinon j’ai là ma patrouille.
Par son trépas
D’un crime votre bras
Se souille.
Si ça n’est pas,
J’veux qu’mon damas
Se rouille.
« Mon dieu, comme il ment »,
Dit la pauvre enfant,
Ni vu, ni connu, j’t’embrouille.
Air : Rantanplan tirelire.
« Vite, à moi, mon régiment .
En plein, plan
Rantanplan
V’la z’un enterrement
Qu’à l’instant
Et d’but en blanc
Il faut mettre en déroute.
Battons nous, coûte que coûte,
Quoique j’n’y voyons goutte. »
Mais l’régiment
Du couvent
En plein plan,
Rantanplan
Qu’est pour l’enterrement,
Répond qu’il versera son sang
Jusqu’à la dernière goutte.
Pendant quequ’temps on doute
Qui est-ce qu’emporter la r’doute.
Au bout d’un combat sanglant,
En plein plan,
Rantanplan,
Au lieu d’enterrement,
C’est l’régiment
De l’amant
Qui s’trouve être en déroute.
Air : Il a voulu, il n’a pas pu.
Y n’y a pas d’milieu,
Faut s’dire adieu.
C’est-i ça qui vous l’coupe ?
Rien que d’les voir,
V’la mon mouchoir
Qu’est trempé comme une soupe.
Air : N’est-il amour sous ton empire.
L’pauvre agneau descend dans la tombe,
Qu’c’est pain béni.
Sur sa tête l’couvercle r’tombe,
V’la qu’cest fini.
Pour si peu s’voir si maltraitée.
L’beau chien d’plaisir
Et n’la v’la-t-il pas ben plantée
Pour reverdir.
Air : Ciel l’univers va-t-il donc se dissoudre.
Mais patatras, v’la z’un n’éclair qui brille,
Et l’tout-puissant qui, j’dis, n’est pas manchot,
Pour sauver la pauvre fille,
Vous lâche un pétard qui grille
L’diable de chiffon qui pendait sur l’réchaud,
Vive l’père éternel,
Qui d’son tonnerre
Arrange l’affaire.
J’n’y comptions guère,
C’est z’un coup du ciel.
Air : Ah ! mon dieu, que je l’échappe belle.
Ah ! mon dieu, que je l’échappe belle,
Dit en haussant l’cou
Au d’sus du trou
La demoiselle.
Ah ! bon dieu, je vous ai fière chandelle,
Car je n’pouvons pas
M’dissmuler qu’j’étions ben bas.
Air : O filii et filio.
Tant il y a que l’couple s’épousa,
Et qu’chaque vestale dit, voyant ça :
Quand est-ce qu’antant m’en arrivera ?
Alléluia