Ernest Mareau

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Parrain par amour !
Monocoquelogue
dit par
Coquelin cadet
(1883)


Fichue situation !... moi parrain ! moi !... Baptême !... dragées !... gamins !... Vive l’enfant !...  à la chienlit !... (changeant de ton) Oui mais parrain avec ma fiancée… Délire !... Ivresse !... Amour !... (rechangeant de ton) Fichue situation !...

Après tout, je suis bien bon, je ne sais pas pourquoi je me tourmente. (avec gravité) Le baptême !... Etes-vous chrétien ?... Le sais-je, s’il voudra l’être ? Ainsi, voilà un enfant qui peut venir dire un jour : « Je vous avais rien demandé, moi ! » Insultes, duel, mort ! Parrainicide… non, filleulicide… C’est moi qui le tuerai… Il me doit le respect – Après Petit Journal, horribles détails, filleul assassiné par son parrain, Mazas, guillotine ! Affreux !... je n’irai pas.

Et puis baptême, peux pas voir ça, cloches, carillon, de l’eau sur la tête, dans le cou… partout ! rhume, bronchite, médecin. – Médecin : mort ! Et tout ça avant d’avoir vécu… absurde !... Quoi ? – Impie ? Non. Baptisez, veux bien, mais attendez qu’on sache nager. Je n’irai pas.

Et puis ce serait encourager le mari… une femme de quarante-cinq ans… sa dix-huitième couche ! Un mari de trente-cinq ! Scandaleux, scandaleux, dix-huit ! – Et doter tout ça… Ma fiancée au moins, 40.000 francs… mais eux… les dix-huit !... aussi pourquoi a-t-elle accepté ? Pouvait pas refuser, c’est la nièce de la femme au dix-huit ! Dieu ! si ressemble à la tante ?... dix-huit !… dix-huit !... – Non, bien élevée, instruite, pas de danger. Puis dirai : « J’en veux pas dix-huit !... dix-huit !...

Enfin ! que faire ? c’est demain. Il est sept heures… Les confiseurs… Tiens ! mais je n’en vois pas dans mon quartier (réfléchissant) rue Godot de Mauroi… de Sèze… rue de Caumartin… Ah ! Siraudin… ou encore Boissier !... rue de la Paix ! (souriant) hein ! cocasse, coïncidence singulière, rue de la Paix !... Paix… Colonne Vendôme, Courbet… la Commune ! (revenant à son idée première) tandis que Siraudin, fille de Madame Angot, plus gai !... – J’irai chez Boissier.

Le père et la mère. Deux tantes… dix-sept frères et sœurs… oh ! quatre boîtes c’est bien assez avec les couvercles, ça fait huit, cinq cousines !... cinq cousines… ma foi, c’est tout. (souriant) – Ah ! naturellement, ma fiancée… oh ! pour Marcelle une boîte superbe, splendide, avec des petits Amours sur le couvercle, - des imitations de Boucher… Ah ! j’oubliais, ma future a aussi un certain nombre de boîtes à offrir… Voyons… combien ?... 1… 2… 3… 4… 5… 6… 7… (brusquement) Ah ! mais non !... non !! je ne suis pas millionnaire, moi !!! Je ne les connais pas, ces gens-là !!

Et dire qu’à mon mariage, il faudra tous les traîner à ma suite ! Comme Hernani :

De ta suite, j’en suis !

Mounet-Sully (imitant Mounet-Sully) De ta suite, j’en suis !!! Eh ! bien, de ton baptême je n’en suis pas !!

D’abord, plus tard ira au lycée le filleul : (imitant la voix de l’enfant) Mon parrain… mon cher parrain… J’ai été le premier à la composition d’hier. (voix naturelle) « Tiens, voilà cent sous Eusèbe… mais ne travaille pas tant !... santé avant tout, Eusèbe ! » Eusèbe. Est-ce assez laid ce nom, Eusèbe, Arthur, César ?... mais je ne veux pas ! ces noms-là sont affreux… caprice de femme enceinte !... c’est-à-dire en couches… Ah ! oui voilà deux jours… Ça n’a pas marché tout seul, paraît-il… et dire que dans quelque temps la même chose m’arrivera… (riant) Ah ! non, pas moi, mais… Oh ! je ne l’appellerai pas Eusèbe. Je ne sais pas comment je l’appellerai ? Georges peut-être… Marcel !...

Marcel ! Tiens c’est une idée… le fils comme la mère… et puis alors mes noms Ernest, Alexandre, Honoré, Alphonse… J’aime autant Fernand, Marcel tout court, c’est bien suffisant… C’est cela, je l’appellerai Jules ! (riant) Ah ! ah ! ah ! vrai je me préoccupe comme si c’était arrivé !... (reprenant son sérieux) L’autre, le môme, Eusèbe, c’est différent. Il est là, lui. Il respire… depuis deux jours… Filleul !... Parrain ! c’est insensé !... Et puis l’heure passe, (regardant sa montre) 9 h. ¼… (réfléchissant) 9 h. ¼… à 10 h. ½ ce sera fermé. Demain matin 11 h. ¾ j’aurai le temps !...

Non,… mon carrossier… aller aux bains… mon chapelier… déjeûner… m’habiller… louer une voiture… mais pourquoi a-t-elle accepté ? Pourquoi ?? – Evidemment je ne puis refuser… je la verrai !! Oh ! elle aura une bien jolie robe de satin… nous l’avons achetée ensemble… avec sa mère, bien entendu… Je lui donnerai le bras… elle s’y appuiera… je la conduirai comme si elle était ma femme… nous causerons… Tiens ! de nos futurs héritiers… Et puis, dans les coins, quand on ne nous regardera pas… nous nous embrasserons… - C’est qu’il y a longtemps !... Depuis hier soir. – Je l’aime tant !... Elle m’aime tant !... Comment faire ?... comment faire ??

Et puis église… pas amusant ! suisse… bedeau… pourboires… courants d’air…

Oui, mais je l’aime ! pour la voir… pour lui donner le bras… je peux bien… Oh ! je suis déjà assez souvent allé à la messe… dans le temps ! Avant mon introduction chez ses parents… je lui ai même une fois offert de l’eau bénite… Allons décidément… (regardant rapidement sa montre) Oh ! 10 heures 5 ! courons chez Boissier… Vingt livres de dragées… non, de pralines, ça tient plus de place, vingt livres dans un sac… c’est ça, pas de boîtes, je ferai des cornets !!! (il sort).

FIN





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