J. Rouvier

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Oh ! le Monologue
Monocoquelogue
dit par
Coquelin cadet
(1883)

Je suis sûr que tout le monde se dit en me voyant : " Bon en voilà un qui va nous réciter un monologue ! " Eh bien ! ce n'est pas vrai.

Si vous me connaissiez, vous sauriez qu'Ignace Nepomucène Malonet, bonnetier à Pontoison (3,333 habitants), est l'ennemi déclaré du monologue.

Si je mens (il désigne un spectateur), que monsieur meure à l'instant ! Et pourtant je tiens à la vie, croyez-le bien.

Je vous le demande, là, entre nous, qu'est-ce que ça a d'amusant, un monsieur qui arrive dans un habit noir, avec des gants blancs, et qui, après vous avoir salué, se met à causer de ceci, de cela, de la situation politique, de sa femme, de sa belle-mère et vous débite mille choses qui ne concernent que lui seul.

D'abord, je dois vous avouer qu'il n'y a pas longtemps que je sais ce que c'est qu'un monologue. Avant j'y ai été pris comme vous. C'est si vrai qu'un jour étant à... non, c'était au.... enfin, n'importe, c'était toujours dans une de ces deux villes-là ; - J'y étais allé pour vendre de la bonneterie - il y avait un concert dans la journée ; pour faire comme tout le monde, je prends un billet.

J'avais déjà entendu chanter, pianoter ; on avait beaucoup applaudi - ce qui me gênait pour dormir, car sitôt que je suis dans un théâtre, je tape de l'oeil : c'est de naissance.

Bref, arrive un monsieur tout de noir habillé ; (il s'arrête et se répète à lui-même) tout de noir habillé ! (il cherche et fredonne sur l'air de Malbhorough) :

Tout de noir habillé,
Tout de noir habillé.

C'est drôle, j'ai entendu ça quelque part. (Se rappelant) Ah ! oui, dans le Pré-aux-Clercs.

On avait l'air enchanté de voir ce monsieur. J'ai cru d'abord que c'était le patron de l'établissement qui venait nous prévenir d'un changement dans la carte..., dans le programme, - ou bien le député de l'endroit qui allait rendre compte de son mandat. Je me trompais.

Tout le monde disait le nom de ce monsieur. Comment s'appelle-t-il donc ? Monsieur... Monsieur... un nom très facile à retenir, ça finit en bour. - Ah ! Monsieur Coquelin Craquet ! - Un grand blond, pas mal, on ne peut pas lui retirer ça.

Il se présente - et sans qu'on lui adresse la moindre question, le voilà qui nous initie à une foule d'ennuis et de désagréments qu'il a dans son ménage.

Il pensait que ça faisait plaisir à la société, parce qu'on riait. Je me disais " Pourquoi rit-on ? Sans doute pour consoler ce malheureux Coquelet Cadin ! Pas autre chose ! "

Je trouvais que ce n'était pas généreux de rire, et je le plaignais de tout mon cœur. Je pensais : " C'est triste tout de même ce qui lui est arrivé là. Mais pourquoi Craquelin Cadet a-t-il besoin de nous raconter ses malheurs domestiques ? Qu'est-ce que ça nous fait tout ça ? "

Foi de bonnetier ! J'avais personnellement tant pris part aux infortunes de ce monsieur, que le soir, à la gare, j'y pensais encore en prenant mon billet pour Pontoison 3,333 habitants (il s'arrête et sourit) et bientôt 3,334 ! Hé ! hé ! hé ! ... (Gravement) Ça, c'est mon affaire.

Quand j'aperçois au guichet, - et prenant aussi son billet, mais pour Paris... mon Croquin Galet ! - A sa vue, je me sens tout ému, je cours à lui, je lui demande - avec ménagements - s'il est toujours sans nouvelles de Madame...

Il faut vous dire qu'au concert il nous avait raconté que son épouse s'était enfuie par mégarde avec un lieutenant de cuirassiers : c'est ce qui m'avait le plus apitoyé.

Au lieu de me répondre, il me regarde d'un air ébahi, comme ça...

Il ne savait seulement pas ce que je voulais dire.

Alors, pour être mieux compris, je lui rappelle les confidences qu'il nous avait faites au théâtre, les causes de son chagrin que je partageais...

Savez-vous ce qu'il a fait ? - Il m'a tourné le dos. Je n'ai pas trouvé ça poli et je me suis demandé à mon tour si ce monsieur Croquin, tout Codet qu'il est, n'était pas un hâbleur ?

Quand je suis rentré dans ma bonneterie de Pontoison, j'en ai fait part à un ami intime... que je connais un peu. Il m'a tout expliqué en deux mots ; - aussi maintenant un monologueur peut dire tout ce qu'il voudra devant moi, ça m'est bien égal !

Je suis très content de vous avoir appris ce que c'est qu'un monologue.

La plupart du temps on n'y comprend rien et on regrette son argent.

Tandis qu'il y a des choses si utiles dans la vie ! autrement utiles que les monologues... Tenez, par exemple, la bonneterie ; et je dis la bonneterie comme je dirais le... la...

Croyez-moi, achetez de la bonneterie, ce sera de l'argent plus utilement employé que celui que vous dépensez pour venir applaudir votre célèbre môssieur Gringalet !

FIN



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