Cet opuscule regroupe quelques chroniques extraites d'une émission radiophonique
quotidienne de Pierre Desproges sur France Inter.
Échos, portrait, rumeurs à propos d'événements qui ont marqué l'année 1986.
Humeurs de M. Desproges soi-même.
Il était temps que janvier fît place à février.
Mme Villemin est dans
l'impasse, tandis que les graphologues de l'affaire qui ne déssoûlent plus
continuent à jouer à Pince-mi et Grégory sont dans un bateau ...
Le 15, premier
coup dur, Balavoine est mort.
Le 16, deuxième coup dur, Chantal Goya est toujours vivante.
Le 23, il fait 9 degrés à Massy-Palaiseau. On n'avait pas vu ça, un 23 janvier, depuis 1936.
Et je pose la question : qu'est-ce que ça peut foutre ?
Mais voici qu'une horde électronique de rockers anglophone surgavés d'ice-creams se prend soudain
d'émotion au récit pitoyable de la misère éthiopienne, dont les navrantes images prouvent en tout cas
qu'on peut garder la ligne loin de Contrexéville.
Quand on lèvera des impôts pour les mourants
du monde et qu'on fera la quête pour préparer les guerres, j'irai chanter avec Renaud.
En attendant oui, mon pote, j'ai cent balles. Et je les garde.
Le film de périer et Séguéla dure une minute. C'est un chef d'oeuvre. Et pourtant, Dieu m'émascule, si possible au laser ça fait moins mal, il s'est trouvé de consternantes badernes pour hurler au scandale. Ces censeurs, que seule la crainte du pléonasme m'interdit de qualifier d'imbéciles, se sont montrés choqués par la dureté du film.
Je venais de déjeuner avec quelques amis chez un suisse riche qui fournit des rations-repas aux companies d'avation du monde entier. Un type bien : ne me faites pas dire qu'un con fait des rations helvétiques, je ne calemboure point dans les alpages.
Un critique du film, dont je tairai le nom afin qu'il n'émerge point du légitime anonymat où le maintient
son indigence, écrivait dans un hebdomadaire dans lequel, de craite qu'ils n'y pourrissent, je n'enfermerais
pas mes harengs, un critique de film, disait-je, écrivait récemment, à propos, je crois, d'un film de
Claude Zidi, deux points ouvrez les guillemets avec des pincettes : C'est un film qui n'a pas d'autre
ambition que de nous faire rire. Je dis merci.
Merci, sinistre ruminant pour l'irréelle perfection de ta
bouse, étalée comme un engrais prometteur sur le pré clairsemé de mon inspiration vacillante.
Qu'on me comprenne. Je ne plaide pas pour ma chapelle. D'ailleurs, je ne cherche pas à vous faire
rire, mais seulement à nourrir ma famille en ébauchant ici, chaque jour, un grand problème
d'actualité : ceci est un chronique qui n'a pas d'autre prétention que celle de faire manger.
Mais qui es-tu, zéroflapi, pour te permettre de croire que l'humoriste est sans orgueil ? Mais elle est
immence, mon cher, la prétention de faire rire. Un film, un livre, une pièce, un dessin qui cherche
à donner de la joie ( à vendre de la joie, faut pas déconner ), ça se prépare, ça se découpe, ça se polit.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais signaler que moi aussi j'ai vu les Césars : je tenais à en profiter pour remercier France Inter sans qui je serais sur Europe 1. Et puis, finalement, je voudrais remercier mon cul d'avoir supporté mes jambes pour venir ici ce soir.
Un ami royaliste me faisait récemment remarquer que la démocratie était la pire des dictatures parce qu'elle est la
dictature exercée par le plus grand nombre sur la minorité. Réfléchissez une seconde : ce n'est pas idiot. Pensez-y
avant de reprendre inconsidérément la Bastille. Vous me direz que cela ne justifie pas qu'on aille dépoussiérer les
bâtards d'Orléans ou ramasser les débris de Bourbon pour les poser sur le trône de France avec la couronne
au front, le sceptre à la main et la plume où vous voulez, je ne sais pas faire les bouquets.
Parce que c'est ça aussi la démocratie. C'est la victoire de Belmondo sur Fellini. C'est l'obligation, pour ceux
qui n'aime pas ça, de subir à longueur d'antenne le football et les embrassades poilues de ces cro-magnons décérébrés.
La démocratie, c'est quand Lubitsch, Mozart, René Char, Reiser ou les batailleurs de chez Polac, ou n'importe quoi
d'autre qu'on puisse soupçonner d'intelligence, sont reportés à la minuit pour que la majorité puisse s'émerveiller dès
20 heures 30, en rotant son fromage du soir, sur le spectacle irréel d'un béat trentenaire figé dans un sourire définitif
de figue éclatée, et offrant des automobiles clé en main à des pauvresses arthritiques sans défense et dépourvues
de permi de conduire.
J'en ai vu, dans le show-bizz, ramper de si peu dignes et de si peu respectables qu'ils laissaient dans leur sillage des rires de complaissance aussi visqueux que les mucosités brillantes qu'on impute aux limaces.
Mercredi. Rude journée. Pas d'école. Les minuscules sont lâchés.
Ils font rien qu'à embêter les parents qui
essaient de faire des chroniques dans le poste.
Grâce à son intelligence, l'homme peut visser des boulons chez
Renault jusqu'à soixante ans sans tirer sur la laisse. Il arrive aussi, mais moins souvent, que l'homme utilise son intelligence
pour donner à l'humanité la possibilité de se détruire en une seconde. on dit alors que l'homme est supérieurement intelligent.
J'aime beaucoup l'humanité.
Je ne parle pas du bulletin de l'amicale de la lutte finale et des casquettes
Ricard réunies.
Je veux dire le genre humain.
À bien y réfléchir, on peut diviser l'humanité en quatre grandes catégories :
Nous irons au Mexique pour voir trembler la terre quand les fêlés du ballon s'éjaculent des vestiaires.
Nous irons à Rio compter les enfants pauvres avant d'aller danser en bermuda résille.
Nous irons à Jérusalem comme
à Berlin nous lamenter au pied du mur.
Nous irons au fond du désert compter les bouts d'hélicoptère oubliés cet hiver
sous la poussière automobile.
Nous irons au fond des Carpates pour frissonner au loup-garou et voir s'enfiler les
blattes dans le cimetière aux hiboux.
Nous irons à Tananarive, pour voir si ta nana revient.
Nous irons à Pekin pour
bouffer chez Maxim's et pour voir si la Chine commence à s'habiller Cardin.
Nous irons au bout du monde ...
Nous n'irons plus au Liban, les cèdres sont coupé, les enfants que voilà ne savent plus chanter.
Le type qui a inventer l'espèce de fil rouge autour des portions de crème de gruyère, on peut pas le tuer, quand même.
Ce n'est pas possible qu'il l'ait fait exprès. Il ne connaît même pas les gens qui aiment manger des portions de crème
de gruyère. Ne les connaissant pas il n'a aucune raison de leur en vouloir à ce point.
Peut-être qu'il est dingue, ce type.
Peut-être qu'il est dingue de père en fils. Si ça se trouve, c'est une forme d'aliénation mentale plus ou moins héréditaire.
Peut-être que son père, c'est le type qui a inventé l'espèce de papier collant eutour des petits-suisses ? Peut-être que sa
mère c'est la pétasse qui a inventé le chocolat dur qui tient pas autour des esquimaux ? Peut-être que son grand-père, c'est
le fumier qui a inventé la clef qui casse le bout des petites languettes des couvercles de sardines, en complicité avec le pourri
qui met de l'hile jusqu'à ras bord des boîtes ?
Quant au mois de mars, je le dis sans aucune arrière-pensée printanière, je ne serais pas autrement surpris d'apprendre qu'il a passé l'hiver pas plus tard qu'aujourd'hui.
Ils s'ennuyaient ave cune intensité inconnue sur l'échelle de regretté Richter, ils s'ennuyaient comme
s'ennuie l'eunuque distrait égaré au Ciné-Barbès à la dernière séance de Prends-moi par les deux trous.
C'est alors qu'ils se sont assis, le président, le premier ministre et les ministres en second et les petits ministres.
Au début, ils ont continué à échanger des idées d'ordre général. On a même ri, quand Édouard Balladur
a suggéré qu'on pourrait nationaliser les antiquaires.
Quoi qu'il en soit, il faut qu'on cohabite, pour reprendre le cri d'amour du crapaud.
Il était une fois une dame qui s'appelait [Madeleine] Loisel, et qui aimait les oiseaux. Même que c'est vrai et que
c'est ma copine, et si nous nous voyons moins, c'est la vie, que voulez-vous, les chemins, parfois, se croisent et, d'autre fois,
divergent et divergent, c'est beaucoup pour un seul homme.
Madeleine n'aimait pas seulement les oiseaux, mais aussi toutes
sortes d'animaux à poil, dont certains, fins gourmets ornithophagiques, n'ont jamais caché leur prédilection
atavique pour l'hirondelle melba, ou le rouge-gorge tartare servi dans sa plume.
En plus des chats, elle avait
des belettes et des petits lapins. Et des chiens louches ou borgnes arrachés au ruisseau, dont l'un, si véritablament épouvantable,
qu'on eût dit le fruit des amours contre nature entre une serpillière écorchée et quatre pieds de tabouret de prison.
Les oiseaux gardaient le bureau de Madeleine, dont ils avaient assuré la décoration des meubles et des sols dans
le plus pur style tachiste de la période fiente.
On a beau savoir pertinemment que la méthode d'investigation psychomerdique élucubrée par le pauvre
Sigmund n'est pas plus une science exacte que la méthode du professeur Comédon pour perdre trente
kilos par semaine tout en mangeant du cassoulet, ça ne fait rien, la psychanalyse, c'est comme la gauche ou
la jupe à mi cuisse, c'est ca qui fait de bien chez les gens de bon goût.
[Une de mes amies],
mère de famille à ses moments pas perdus pour tout le monde, a connu le malheur d'accoucher d'une espèce
de surdoué. À cinq ans et demi, ce monstre donnait des signes alarmants d'anormalité.
Notamment, il préférait Haendel à Chantal Goya, il émettait des réserves sur la politique extérieure du
Guatemala et, surtout, il savait lire malgré les techniques de pointe en vigueur à l'Éducation Nationale.
Les orphelins n'imaginent pas l'acharnement à survivre dont sont capable certains octogénaires pour
le seul plaisir de raconter leurs congés payés au Tréport en 36 à des gens qui s'en foutent. Ça dort à
peine trois heures par nuit, ça consomme cent vingt-cinq grammes de mou par jour, ça ne tient pas
mieux debout qu'un sénario de Godard, mais ça cause. Aux giboulées, l'index hésitant pointé sur le
bas-monde, ça cause par dictons : Noël au balcon, Pâques aux tisons ; Noël en Espagne, Pâques aux
rabanes ; Froid de novembre, cache ton membre.
Il va sans dire que ces dictons ne s'appuient sur
aucune réalité que la sagesse populaire. Et la sagesse populaire, on connaît. C'est celle qui a élu Hitler en 33.
Les jockeys ne se doutent pas à quel point les chevaux les détestent.
_ Pour quelle raison, dit [mon cheval], des amimaux comme
moi, que Dieu a créés pour qu'ils broutent et baisent à l'aise dans les hautes herbes, se prendraient-ils soudain
d'affection pour des petits nerveux exaltés qui leur grimpent dessus, les cravachent et leur filent des coups de pied
dans le bide dans le seul but d'arriver les premiers au bout d'un chemin sans pâquerettes, pour que les chômeurs
puissent claquer leurs assédiques le dimanche ? En réalité ( c'est toujours mon cheval qui parle ), le jockeys aiment les
chevaux comme les charcutiers aiment les cochons. Et les chasseurs, mon cher Pierre, qui affirment sans rire qu'ils chassent
parce qu'ils aiment la nature.
_ Tu as raison, lui dis-je, mais plus dégénéré que le chasseur, il y a. Il y a le pêcheur
qui affirme que le chasseur est un tueur sans pitié, alors que lui-même accroche par la bouche et fait souffrir à mort
des carpes encore plus innocentes qu'immangeables.
_ Y a des coups de sabots dans le gueule qui se perdent, soupira mon cheval.
J'était littéralement fou de cette femme. Pour elle, pour l'étincelance amusée de ses yeux mouillés d'intelligence aiguë, pour son
cul furibond, pour sa culture, pour sa tendresse et pour ses mains, pour cette femme à la quanrantaine émouvante que trois ridules égratignent
à peine, trois paillettes autour de ses rires de petite fille encore, pour ce fruit mûr pas encore tombé, pour ses seins arrogants
toujours debout, même au plus périeux des moins avouables révérences, pour cette femme infiniment inhatuelle, je me sentait au bord de
renier mes pentoufles.
En sa présence, il n'était pas rare que je gaudriolasse sans finesse, dans l'espoir flou d'abriter sous mon nez
rouge l'émoi profond d'être avec elle. Elle avait souvent la bonté d'en rire, exhibant soudain ses clinquantes canines dans un éclair blanc
suraigu qui me mordait le coeur. J'en était fou vous dis-je.
Je l'emmenai donc déjeuner dans l'antre bordelais d'un truculent saucier
qui ne sert que six tables, au fond d'une impasse endormie du XVe où j'ai mes habitudes. J'avais commendé un Figeac 71, mon Saint-Émilion
préféré. Introuvable. Sublime. Rouge et doré comme peu de couchers de Soleil. Profond comme un la mineur de contrebasse. Éclatant
en orgasme au Soleil. Plus long en bouche qu'un final de Verdi. Un si grand vin que Dieu existe à sa seule vue.
Elle a mis de l'eau dedans.
Je ne l'ai plus jamais aimée.
Il était une fois un con fini qui eut l'idée singulière d'inventer, à l'intention des petits enfants, une
gomme à effacer en forme de fraise, parfumée à la fraise.
Ce fut un tel succès dans les écoles que le con fini
récidiva dans la gomme à la banane, la gomme à la pomme, la gomme à la cerise. Il culminait dans le saugrenu avec
sa gomme exotique au kimi cinghalais, quand on commença de s'inquiéter de la vague d'entéro-gastrites pernicieuses
et d'asphyxies étouffantes qui se mirent à décimer les rangs des maternelles.
[J'ai reçu] une lettre d'une chère
auditrice qui n'a pas tenu à garder l'anonymat mais j'ai foutu sa lettre au panier, j'avait cru reconnaître l'écriture de la
femme de Lucien Jeunesse(1), je me méfie de ce genre de salade, je ne mélange jamais le cul et le boulot.
(1) Note : Lucien Jeunesse était un animateur de France Inter dont l'émission était quotidiennement diffusée juste après cette chronique.
M. Raymond Lepetit est journaliste. C'est un obscur. Dans aucun journal, on ne saurait être plus obscur que M. Ramond Lepetit.
M. Raymond Lepetit est encore plus obscur que Mlle Geneviève Portafaux qui est responsable de la rubrique au Réveil de Pas-de-Calais,
et qui connut un quart d'heure de gloire dont elle se serait bien passée, en écrivant erratum avec un seul r. En effet, M. Raymond Lepetit
est le rédacteur de la Solution du jeu des sept erreurs, de L'Écho de la Fouillouse qui est encore assez lu entre
Le Chambon-Feugerolles et Andrézieux-Bouthéon.
Pour arrondir ses fins de moins, il fait aussi le Solution du jeu des sept erreurs
de Sexy-Fouillouse, une revue pornographique locale très sinistre et très grise.
La première manifestation de la nature profondément masochiste de Christian Le Martrois remonte à l'instant même de sa naissance.
Il eut bien une joie à l'âge de trois mois, quand son grand frère eut l'idée inespérée d'enduire de piment rouge la tétine de son biberon.
Mais, par la suite, il comprit qu'il devait lui-même prendre en main son douloureux destin, sans plus compter sur le hasard.
La puberté
de Christian restera comme un chef-d'oeuvre dans l'art secret des supplices vonlontaires et des souffrances de l'âmes autoconsenties.
À quinze ans, il avait mis au point une technique dite de l'onanismus interruptus génératrice de frustrations violentes telles qu'elles
le poussaient à se taper la tête contre les murs de sa chambre qu'il avait tendus de papier de verre no 5 sur les conseils d'un vendeur du BHV
ex-marcheur sur braises à l'académie des derviches émasculés vonlontaires de La Bourboule.
À trente-trois ans, Christian épousa une virago
bavaroise dresseuse de bergers allemands au chenil la Schlag d'Oradour-sur-Glane. Dans l'intimité, elle appelait son mari Kiki, lui faisait
rapporter la baballe, et l'obligeait à manger de la merde et à lire Jour de France, en écoutant le groupe Indochine.
C'était le bonheur.
M. Haroun Tazieff est inoffensif. Il passe le plus clair de son temps à mettre son nez dans les trous qui fument. Parfois, un volcan facétieux,
profitant de ce que M. Haroun Tazieff n'est pas là, se met à péter aux quatre vents. M. Haroun Tazieff apparaît à la télévision et dit :
Ça ne m'étonne pas. Je l'avais prédit. Puis il retourne s'enfumer plus loin avec une caméra parce qu'il faut bien vivre, comme
dirait M. Jacques-Yves Cousteau. ( M. Jacques-Yves Cousteau est un ami de M. Tazieff. Il met son nez dans les trous qui mouillent. )
Avec M. Paul-Émile Victor, qui met son nez dans les trous qui gèlent, ils forment en France un exceptionnel triumvirat, peu connu
sous son nom d'apparat des pifs nickelés.
hélas, il y a un peu plus de trois ans, pendant que M. Haroun Tazieff avait le nez baissé
sur quelque braise, une tuile lui est tombé sur la gueule : on l'a nommé ministre des Trous qui fument et des Noyaux qui pètent.
Par parentaise, je signale aux rétifs de la gastronomie autoroutière que les Ruralies sont une manière d'auberge prétendument
rustique, sise au bord de l'autoroute Aquitaine, oû l'on sert, contre beaucoup d'argent, un brouet que Jacob et Delafon
ne confieraient qu'avec réticence à leurs chasse d'eau.
J'entrepris d'étaler largement l'inqualifiable pâté rosâtre sur la mie
leucémique de l'ersatz farineux. Ainsi nanti, les pieds sur la table et la chaise en arrière, je me mis à glouglouter et bâfler
buyamment. À mon grand étonnement, j'y pris quelque plaisir, et même pire, j'en jouis pleinement jusqu'à atteindre la torpeur
béate des fins de soupers grandioses, et m'endormis en toute sérénité.
Ce qui tendrait à prouver qu'on est pas faits pour le raffinement,
en tout cas pas tous les jours, et que le cochon somnole en nous.
Un qui ne me contredira pas c'est cet ami photopraphe de mode, dont
l'hyperseduction anglo-saxonne draine en son lit les plus beaux mannequins du monde. Pendant ses week-ends, le bougre s'occupe à draguer le
boudin charolais celluliteux entre le République et la porte Saint-Denis.
Il se peut que cette chronique soit la dernière.
Concidérez-la comme mon testament.
Ce matin, à six heures trente, à l'heure où
Phoebus darde encore ses rayons dans sa poche, on a sonné à ma porte.
Ce ne pouvait pas être le laitier. Je ne bois pas de lait le matin,
ça fait cailler la tequila de la veille au soir.
Ce ne pouvait pas être le KGB. Je suis au mieux avec Moscou. J'ai renconté l'autre jour
un ingenieur de Tchernobyl qui de désirradiait dans la piscine Molito, je lui ai dit : J'aime beaucoup ce que vous faites. On ne sait jamais.
On n'est jamais trop prudent.
À trente ans, Ophélie Labourette supplantait dans la laideur et la disgràce les culs de cynocéphales les plus tourmantés. Elle était
intésément laide de visage et de corps, et le plus naturellement du monde, c'est-à-dire sans que jamais le moindre camion ne l'eût emboutie,
ni qu'un seul virus à séquelles déformantes n'y creusât jamais ses ravages.
Jaillissant de sa tête en poire cloutée de deux globules
aux paupières à peine ouvrables, elle imposait un pif patatoïde qu'un duvet noir séparait d'une fente imprécise qui pouvait faire illusion
et passer pour une bouche.
Le corps était court et trapu, sottement cylindrique, sans hanches ni taille, ni seins, ni fesses. Une histoire ratée,
sans aucun rebondissement. De ce tronc morne s'etiraient quatre maigrelettes ; les membres inférieurs, plus particulièrement, insultaient le regard.
Rien ne permettait de discerner la jambe de la cuisse. L'un et l'autre affûtées dans le même moule à batons, s'articulaient au milieu par
la protubérance insolite d'un galet rolurien trop saillant. Un trait, un point, un trait, c'étaient des jambes de morse. Moins affriolantes que bien
des prothèses. Avec, pour seul point commun avec des jambes de femmes, une certaine aptitude à la marche.
Aucune bête au monde, si ce n'est peut-être, le morpion pubien, n'est aussi profondément attachée à l'homme que le berger allemand. Aucune n'est plus dévouée, attentive et patiente avec les petits enfants qui peuvent sans danger lui tirer la queue, lui tordre la truffe, lui bourrer les oreilles de miettes de petit-beurres et lui enfoncer du white-spirit dans le trou du cul à l'aide d'un tuyau de caoutchouc, pour jouer aux 24 heures du Mans, catégorie clébards.
Je me heurte parfois à une telle incompréhension de la part de mes contemporains qu'un épouvantable doute m'étreint : suis-je bien de cette planète ?
Et si oui, cela ne prouve-t-il pas qu'eux sont d'ailleurs ?
Mais j'ai beau me plonger et me replonger dans les feuilletons de cul à l'alcool de
rose, ça m'emmerde autant que l'annuaire du Lot-en-Garonne. ( Surtout, évitez l'annuaire de Lot-et-Garonne : c'est nul. )
Ce matin encore, j'ai été
frappé par cette incompréhension réciproque entre les humains et moi. J'était allé avec ma femme acheter quelque bouteilles de vin au coeur de vieux
Bercy. Le marchand habituel était absent. Je ne connaissais pas son remplaçant.
_ Bonjour messieurs-dame ! nous a-t-il lancé, et pour
monsieur, qu'est-ce que ce sera ?
Pourquoi n'avait-il pas dit : Qu'est-ce que c'est ?
Pourquoi employait-il le futur ?
Pourquoi
nous projeter ainsi dans l'avenir, en plein science fiction ?
Je suis d'une autre planète, vous dis-je.
_ je voudrais du vin, finis-je
par avouer.
_ Du vin pour tous les jours ?
Pourquoi avait-il dit du vin pour tous les jours ?
Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Voulait-il exprimer qu'il avait également en stock des vins pour un jour sur deux ? Des vins pour toutes les nuits ? N'avais-je pas décelé un
soupçon d'animosité dans le ton de cet homme ? Si je lui avouais que je buvais du vin tous les jours, n'allait-il pas appeler le police ?
Cet après-midi, j'ai voulu m'offrir un bouquet de fleurs pour tenter de me consoler de ce perpétuel fiasco dans mes rapports affectifs avec ce
qu'il me faut bien appeler mes semblables, car enfin nous avons le même nombre de jambes, le même nombre de bras, le même
nombre d'oreilles, le même nombre d'yeux ( vous avez vu : j'ai pas dis couilles ).
La fleuriste était du genre noiraude et trapue,
courte-cuisse et vélue du mollet. Sur ses jeans était écrit : I love the Lot-et-Garonne. J'aurais dû me méfier.
_ Une douzaine
de tulipes, s'il vous plaît.
_ C'et pour offrir ?
Qu'est-ce que ça peut te foutre, boudin, pensais-je avec une certaine retenue
dans l'élégance du verbe.
_ Non, non, mademoiselle, c'est pour moi.
Elle enroba les fleurs dans une feuille de journal et dit :
_ C'est trente-deux francs.
_ Oui. Bon. Voilà. Mais, vous ne pourriez pas me les envelopper un peu plus joliement, ces tulipes ?
_ Y m'a
dit que ce n'était pas pour offrir ...
_ Non, en effet, mademoiselle. Ces fleurs sont pour moi. Je ... je pensais cependant mériter de votre part
les mêmes égards que vous eussiez montrés pour ma marraine. Mais, bon, tant pis. Adieu, mademoiselle. Nous ne sommes pas faits pour nous
comprendre.
Pourquoi ? Pourquoi ? Le seul être qui m'ait un peu rasséréné fut le boucher. Je lui ai pris un steak haché. Il m'a demandé si c'était pour offrir. Je lui ai dit que non, que c'était pour moi. Il m'a quand même mis deux très jolis papiers autour.
Voici bientôt quatre longues semaines que les gens normaux subissent à longueur d'antenne les dégradantes contorsions manchotes des hordes
encaleçonnées sudoripares qui se disputent sur gazon l'honneur minuscule d'être champions de la balle au pied.
Voilà bien la différence
entre le singe et le footballeur. Le premier a trop de mains ou pas assez de pieds pour s'abaisser à jouer au football.
Je vous hais, footballers.
Vous ne m'avez fait vibrer qu'une fois : le jour où j'ai appris que vous aviez attrape la chiasse mexicaine en suçant des frites aztèques.
J'eusse aimé que les amibes vous coupassent les pattes jusqu'à la fin du tournoi. Mais Dieu n'a pas voulu. Ça ne m'a pas surpris de sa part.
Il est des vôtres. Il est comme vous. Il est partout, tout le temps, quoi qu'on fasse et où qu'on se planque on ne peut y échapper.
Quand j'étais petit garçon, je me suis cru longtemps anormal parce que je vous repoussais déjà. Je refusais systématiquement de jouer au foot à
l'école ou dans la rue. On me disait : Ah, la fille ! ou bien Tiens, il est malade, tellement l'idée d'anormalité est solidement
solidaire de la non-footballité.
Je vous emmerde. Je n'ai jamais été malade. Quand à la féninité que vous subodoriez, elle est toujours en moi.
Et me pousse aux temps chauds à rechercher la compagnie des femmes. Y compris celle des vôtres que je ne rechigne pas à culbuter quand vous
vibrez aux stades.
À part ça, je suis très content car les enfants m'écrivent. Une auditrice de neuf ans me dit : Non mais ça va pas
la tête de dire des choses pareilles sur le bon Dieu. Crétin, va. Imbécile. Signé Anne, neuf ans.
Tu as raison, ça va pas la tête.
Je ne le referai plus, je te le promets.
N'empêche que c'est pas moi, c'est Dieu qui a commencé.
Demande à ta mère de t'expliquer le
comportement de Dieu avec les petites filles de neuf ans en Éthiopie ou au Liban. Moi, j'ai pas tout compris. Je t'embrasse, petite Anne.
Je viens de rompre avec Dieu.
Je ne l'aime plus.
En amour, on est toujours deux. Un qui s'emmerde et un qui est malheureux.
Depuis quelque
temps, Dieu me semblait malheureux.
Alors, j'ai rompu.
Et puis je m'entendais mal avec sa famille. Je trouvait que le fils, surtout, avait
mauvais genre. Je ne pense pas être bégueule mais ce côté m'as-tu vu sur ma jolie croix dans mes nouveaux pampers, j'ai toujours
pensé que cela avait desservi le prestige de l'Église. Et contribué, pour une large part, à l'abandon de l'habit sacerdotal traditionnel au
profit de la soutane rase-bonbon chez les prêtres intégristes bisexuels.
J'ai posté hier soir ma lettre de rupture :
Cher Dieu,
Ne m'attends pas dimanche. Je ne viendrai pas. Je ne viendrai plus jamais le dimanche. Ni les autres jours, ni les autres nuits.
Dieu, mon grand,
mon très grand, mon très haut, je na t'aime plus.
J'ai tous le torts. Depuis le début de notre liaison, je t'ai trompé cent fois en cent lieux
de bassesse peuplés de salopes en cuir et d'intorchables marins rouges qui me collaient à leur sueur en salissant ton nom.
Pourtant, je t'ai aimé.
Dès le premier jour.
Mais aujoud'hui, mon Dieu, je ne t'aime plus. Je t'en pris, oublie-moi. Je suis un grain de sable, et d'autres hommes t'aimeront
que tu sauras aimer aux quatre coins du monde, de Beyrouth à Moscou et de Gdansk à Santiago.
Ah ! Dieu. Pardonne-moi mes offences, mais laisse-moi
succomber à la tentation, donne-moi aujourd'hui mon péché quotidien, et délivre-moi du bien. Ainsi soit-il.
Veuillez croire, moi pas.
J'était entré [chez l'opticien] sur une impulsion, pour m'acheter des lunettes noires destinées à cacher mon intrépide regard de cancéreux surcitaire
buriné à la cohorte enfiévrée des mille et une groupies inassouvies que la rue jette pantelantes à mes trousses quand Phébus, attardant ses rayons sur
leur cou juvénile pour d'impossibles ruts oû je ne serai pas, leur met les fesses en feu et la fièvre au nombril, et pousse vers mon corps leurs
quelconques appas.
_ Bonjour, est-ce que vous avez des lunettes ?
_ Des lunettes de quoi ?
_ Des lunettes pour les yeux.
_ Quel genre ?
_ Marron.
Des lunettes pour les yeux marron.
_ J'y demande pas ça. J'y demande quel genre de lunettes.
_ Noires.
_ La monture ?
_ Non. Les verres.
_ Donc. Y veut des lunettes noires pour des yeux marron. Il a qu'à essayer ceci.
_ Faites voir ... C'est pas pour me vanter, mais c'est vulgaire.
_ Nous en faisons beaucoup actuellement.
_ Oui. C'est ce que je voulais dire.
Je l'énervais. Je sentais bien que je l'énervais.
Résumé du chapitre précédent :
Anne et Alexandre profitent du mois du juin pour ne pas partir en août. Ils glandent dans leur maison, au bord
d'une plage atlantique, avec leur deux enfants probablement des petites filles, j'ai pas bien suivi le début. Soudain, alors qu'Alexendre, sur la terrasse
face au couchant, fait rien qu'a se poser des questions fondamentales de type romantique de bains, Anne s'écrit : Tu n'as pas vu les filles ?
C'est bien ce que je disais. C'est des filles.
Non, il n'a pas vu les filles.
Du jour où ses enfants sont nées, il n'a cessé, au creux de ses
nuits blanches et de ses jours noirs, de les entrevoir courant nues sous les bombes, éclatées sous des camions distraits.
Avec une minutie de
flic obtus, il fouille et contre-fouille le garage, la voiture, le haie de fusains, la maison pièce à pièce, où il hurle leurs deux noms.
Au bont de vingt minutes, on sort la voiture, le vélo, les voisins, la police, et les chiens.
_ Je suis formel, on n'a rien vu sur l'eau,
affirme le pinpant CRS balnéaire.
_ Sur l'eau, je m'en fous. Mais SOUS l'eau ? risque-t-il, exhibant sans vergogne son humour clés en main
avec vue imprenable sur le cimetière.